Pour ce nouvel article que j’estampille dans ma collection #Halloween 2020, on va descendre d’un cran niveau creepy (parce qu’apparemment mon post sur la friperie la plus hantée de Paris vous a fait pas mal réagir, ainsi que celui sur les objets vintage possédés). Néanmoins, il n’est pas impossible que vous soyez un tout petit peu mal à l’aise avec la suite.

L’un de mes pires cauchemars de ce 21e siècle fut de découvrir les horreurs qui composent parfois nos produits de beauté actuels. Paraffine, perturbateurs endocriniens, j’en passe et (pas) des meilleurs, me font souvent bondir de mon sofa vintage. Mais croyez-moi, ce n’est RIEN en comparaison avec certaines inventions loufoques voire carrément flippantes et toxiques que les femmes ont eu le malheur d’utiliser au siècle dernier. Tout ce qui suit est vrai et on ne peut plus vrai et confirmerait presque cet adage horrible et des plus désuets “il faut souffrir pour être belle” (ou pas. Plutôt pas, d’ailleurs).

Pour ce sujet, je vous propose 2 articles distincts afin de faciliter votre lecture : voici le premier volet dédié à la beauté radioactive.

Tho Radia : Beauté radioactive

Le radium au service de la beauté par la santé de la peau” !

Je ne vais pas passer par quatre chemins : c’est de toute évidence l’une des “tendances” de beauté qui m’a le plus fascinée en faisant mes recherches sur les usages des femmes en cosmétiques depuis 1900 et aussi parce que j’ai lu et fait énormément de recherches sur les ouvrières empoisonnées au radium, les Radium Girls (qui fera certainement le sujet d’un article à part entière).

(Et oui peut-être ne le saviez-vous pas, mais j’ai la fâcheuse manie de collectionner les cosmétiques anciens et je suis une FANATIQUE de l’histoire de la beauté depuis l’ère victorienne jusqu’à nos jours. Elle en dit parfois souvent plus que les vêtements pour appréhender la place de la femme au fil des décennies – mais ce n’est que mon avis personnel.)

Et donc j’ai décidé de vous parler d’une marque française, qui a vu le jour en 1932 : Tho Radia. Son créneau ? Séduire les pharmaciens et s’implanter en officine pour proposer à la clientèle féminine divers produits de beauté composés de… et bien de radium et de thorium (entre autres choses). Cela nous parait inconcevable aujourd’hui, pourtant, comme je le disais plus haut, nos cosmétiques actuels ne font pas vraiment mieux. Mais ainsi vous demandez-vous comment de tels produits ont pu être mis sur le marché ?

Cela tient principalement au vide juridique propre à l’époque concernant l’encadrement des produits de soins et de cosmétiques, à une manipulation très habile du fondateur pour faire passer des vessies pour des lanternes (et c’est le cas de le dire avec la phosphorescence du radium) à ses clients et puis aussi à une révolution scientifique qui a déchaîné les passions (le radium).

En effet, grâce à la découverte du radium en 1896 par Henri Becquerel, c’est le monde entier qui s’en trouve bouleversé, et notamment celui de la chimie. S’en suivent les expérimentations diverses réalisées par Pierre et Marie Curie que nous connaissons tous. Puis, un peu plus tard, en 1901, Henri Becquerel dispose un peu de radium dans un tube qu’il place ensuite dans la poche intérieure de sa veste avant de partir pour une conférence. Seulement, quelques heures plus tard, il constate que sa peau comporte des lésions. Il en tire la conclusion que le radium a bel et bien des effets sur l’organisme.

Rapidement, médecins et biologistes ont l’idée d’utiliser le radium, alors très coûteux à l’époque, dans leurs expériences. Même si les savants comprennent très rapidement qu’il s’agit là d’un composant extrêmement toxique, l’idée se répand que si son utilisation est faite à petite dose, elle s’avère excitante et même particulièrement efficace pour traiter la peau et trouver la jeunesse éternelle, raffermir les tissus, guérir les blessures, et mon derrière sur la commode en rotin.

Inutile de vous dire que de nombreux entrepreneurs et créateurs vont s’engouffrer dans la brèche, érigeant le radium comme solution miracle à tous les maux. De 1910 à 1930, la frénésie du radium atteint son apogée et il est considéré par le tout venant comme un produit incroyable, bienfaisant, rare car coûteux, en bref une véritable potion magique. Dès 1920, divers médicaments à base de radium commencent à être développés et commercialisés, mais l’invention est si populaire qu’elle se décline même sur des objets du quotidien : rasoir, vêtement et évidemment horloge, dont les fameux cadrans peints à la main par les tristement célèbres Radium Girls (et vu que je vous parle à nouveau d’elles, je me dis que je vais décidément leur consacrer un article. En attendant, ej vous invite à consulter mes quelques stories épinglées sur ce sujet sur mon compte Instagram juste ici).

Le destin funeste des Radium Girls, intoxiquées par la peinture radioactive qu’on leur fournissait pour rendre lumineux les cadrans d’horloges qu’elles devaient peindre à la main.

La cosmétologie ne tarde pas non plus à s’approprier cette trouvaille et promet monts et merveilles aux clientes, à grands renforts de publicités où les femmes ont le teint lumineux et semblent irradiées par une lumière mystique, (dont cette publicité iconique de la marque Tho Radia qui perdura jusque dans les années 50). C’est dans ce contexte que se développent des marques telles que Ramey et Radium Elys et que sont vendues des crèmes au doux nom de Radior ou d’Activa. La marque Tho Radia utilise un tout autre stratagème en induisant les consommateurs en erreur, ce que beaucoup de marques ont désormais l’habitude de faire même encore aujourd’hui ! Mais revenons-en aux fondements de cette marque purement made in France.

Tho Radia est fondée fin 1932 par un pharmacien parisien, Alexis Moussalli et son concept est clair : surfer sur la vague du radium en utilisant l’argument scientifique, ce que les autres marques de cosmétiques n’ont pas eu l’idée de faire. Il promet ainsi par ses gammes de soins un embellissement de la peau par l’aspect curatif que provoque soit disant le radium. Il va donc tout naturellement avoir la présence d’esprit de séduire en premier lieu les pharmaciens pour que sa marque soit distribuée uniquement en officine et ainsi apporter une garantie pharmaceutique à ses clientes (spoiler alert/instant rageuse : de nombreuses marques actuelles dont les compositions sont pauvres voire dégueulasses utilisent aussi la caution “pharmacie” pour distribuer leurs produits et prendre accessoirement les consommateurs pour les derniers des idiots en abusant de leur crédulité. Mais je ne tiens pas à me faire des ennemis donc je ne citerai personne).

Cette coupure de presse a été trouvée par mes soins dans le ELLE daté du 14 mai 1946. Je voulais la partager avec vous pour bel et bien vous prouver que cette marque était véritablement présente dans les magazines féminins.

Et parce que ce bon Alexis n’était visiblement pas à une roublardise prêt, il a eu l’audacieuse idée de faire appel à un certain docteur Alfred Curie, qui ne partage absolument rien en commun avec Pierre et Marie Curie si ce n’est le même nom. Un nom qui, aux oreilles des potentiels clients, apporte une crédibilité supplémentaire et qui sera un atout déterminant pour la suite de son business (et même moi qui faisais mes recherches sur Tho Radia, je me suis fait bêtement avoir au départ, pensant que ce dernier avaient un lien de parenté avec les génies du radium). Alors que décide-t-il de faire, ce bon Alexis ? Et bien tout simplement ce que n’importe quel business man sans vergogne ferait : apposer le nom d’Alfred Curie sur ses pots de crème. Publicité mensongère, vous dites ?

En tout cas, la législation n’en a cure (c’est le cas de le dire) puisqu’elle n’existe tout bonnement pas à cette époque. Ainsi, le Alfred Curie prête, dans le plus grand des calmes, son nom, dans le but de promouvoir la crème Tho-Radia, soit-disant conçue “selon la formule du Dr Alfred Curie”. L’objectif étant bien sûr d’abuser de la crédulité des pharmaciens et clients en leur laissant penser que cette marque est approuvée par les Curie. Néanmoins ce mensonge portera ses fruits puisque la marque aura une très belle notoriété à l’époque et enrichira son offre de nombreux autres produits : crème solaire, rouge à lèvres, poudre pour le visage…

Toutefois, en 1937, la législation sur la vente de produits contenant du radium change ENFIN : les marques sont désormais contraintes d’utiliser une signalétique précise (une pastille rouge affublée du texte “poison”) pour signaler que leurs articles contiennent des ingrédients radioactifs. De plus, ces produits ne peuvent plus être vendus désormais que sur prescription médicale. Tho Radia sent le vent tourner et adopte une nouvelle stratégie : faire disparaître toute trace de radium et le nom d’Alfred Curie pour se concentrer désormais sur son succès.

Je ne vais pas vous faire tout l’historique de la marque par la suite bien que celui-ci fut particulièrement mouvementé notamment pendant la seconde guerre mondiale mais en tout cas Tho Radia a été commercialisée jusqu’à la fin des années 1960 et a évidemment marqué l’univers des cosmétiques. À noter aussi : ces crèmes, bien que vantées comme étant au radium, en étaient finalement très peu dotées, principalement parce que celui-ci coûtait extrêmement cher à l’époque (et pas parce que c’était dangereux, hein). Les femmes ne s’exposaient donc pas à un risque démesuré en s’appliquant ces produits. Si vous voulez en savoir plus sur la marque Tho Radia et son incroyable ascension pendant les années folles, je vous invite à écouter cette émission de France Culture : “Tho radia, aventures et mésaventures d’une crème miracle”.

J’espère que cet article vous aura plu ! À la semaine prochaine pour l’édition n°2 des pires inventions de beauté du siècle dernier !