Loretta Banana

féminisme

Dans ma bibliothèque #7 : féminisme & bordels

« Reading gives us somewhere to go when we have to stay where we are. »
(Lire nous donne quelque part où aller quand nous avons à rester là où nous sommes)

[ Préambule ]
Ne me demandez pas pourquoi, mais j’ai toujours ressenti un vif intérêt pour le milieu des courtisanes. Cocottes, lionnes ou grandes horizontales, peu importe la manière dont vous souhaitez les appeler, elles ont peuplé l’imaginaire collectif (et l’histoire) de leurs frasques, de leur parfum de scandale et de leur aura de mystère. On les a souvent dépeintes comme des femmes émancipées, des figures féministes tout en étant des femmes assumées. J’ai lu beaucoup d’ouvrages à leur sujet et j’ai toujours été admirative de leur détermination : La Belle Otéro, Cléo de Mérode, la Castiglione, et bien d’autres, ont souvent occupé mon imaginaire et mes lectures. (Il y avait d’ailleurs une fantastique visite proposée par un guide tout aussi fascinant au sein du célèbre établissement Maxim’s de Paris, connu pour avoir vu défiler bon nombre de Grandes Horizontales, et dans lequel avait été reconstitué un appartement de cocotte à la belle époque. J’ignore si ces visites sont toujours d’actualité, mais je vous la conseille absolument si le sujet vous fascine ainsi que l’Art Nouveau !)

C’est ainsi donc que j’ai commencé à m’intéresser davantage au milieu des bordels ou, appelons les choses telles qu’elles sont : la prostitution, mais toujours d’un point de vue historique, et jamais pour le fustiger mais pour mieux le comprendre, car il est bien souvent opposé au féminisme, une cause qui m’anime aussi énormément. Pour me faire donc ma propre opinion, j’ai voulu creuser davantage le sujet, car bien souvent les médias n’abordent qu’un seul aspect : le sensationnalisme, la victimisation et le racolage. Je pense que comme pour toute thématique, la réalité est bien plus contrastée.

Ceci étant dit, je vais rentrer davantage dans le vif du sujet et vous parler littérature, puisque c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui.

Pour commencer, j’aimerais parler du livre le Guide historique du Paris Libertin que j’ai beaucoup apprécié, puisqu’il mélange habilement histoire et “galanterie”. On y découvre tous les lieux qui ont rythmé la vie sulfureuse des Parisiens dans les années 20, le tout ponctué de photos et d’anecdotes, et c’est fascinant ! J’ai par exemple découvert que l’appellation de “Lorette” était donnée aux jeunes élégantes vivant de leur relation avec ces messieurs – et non, je vous vois venir, mon pseudo ne vient pas de là – en partie du fait que le quartier de Notre-Dame-De-Lorette, alors en pleine construction, abritait leurs amours secrètes. 

« Je suis coquette
Je suis lorette,
Reine du jour, reine sans feu ni lieu !
Eh bien ! J’espère
Quitter la Terre
En mon hôtel… Peut-être l’hôtel-Dieu… » 

C’est dans cette optique que je souhaite vous parler de deux ouvrages que j’ai lus. Presque 100 ans les sépare (l’un est daté de 1928, l’autre de 2019) et pourtant, ils relatent tous les deux la même chose : la narration d’une jeune femme, journaliste pour la première, écrivaine pour la seconde, dans le milieu des bordels. Bien que ces deux livres n’aient rien en commun dans l’écriture et le récit, ils relèvent chacun du domaine du “reportage en immersion”.

Je vais tout d’abord vous parler du plus ancien :

Livre N°1 : Maryse Choisy – Un mois chez les filles

J’avais déjà lu ce livre il y a un moment et avais effleuré son sujet ici

Le contexte :
Maryse Choisy, journaliste et “femme du monde” comme elle aime à le rappeler à plusieurs reprises, se décide à enquêter dans le milieu très fermé de la prostitution parisienne. Rédigé en 1928 et écoulé à plus de 450 000 exemplaires, ce livre fait naturellement scandale et… couler beaucoup d’encre ! Elle endosse tour à tour le rôle de femme de chambre, de danseuse dans un bar lesbien et parvient même à s’introduire dans les dancings de la pègre, pour relater, analyser en toute discrétion les dessous d’un monde obscur et mystérieux. 

Ce que j’en ai pensé : j’ai lu à plusieurs reprises que cet ouvrage était profondément féministe, et même si je trouve l’audace et le courage de Maryse Choisy remarquables (car rappelons tout de même que ce genre de récit est risqué et totalement nouveau pour l’époque), je suis plus mitigée sur l’aspect féministe. Elle n’hésite pas à rabaisser certaines catégories de femmes dans l’optique de mieux mettre en valeur son statut de “Femme du monde”, ce qui à mon sens est éloigné de la définition de féminisme actuel comme je l’entends.

D’autre part, si vous souhaitiez des révélations choquantes, il vous faudra passer votre chemin (et plutôt vous rabattre sur le livre suivant) : certes, ses écrits ont scandalisé ses contemporains, mais d’un point de vue de personne vivant au 21e siècle, l’aspect sulfureux s’est érodé avec le temps. Hormis cela, son récit est passionnant, ponctué de réflexions personnelles intéressantes et qui permettent de s’imaginer ce que devait être la société de son temps.

J’ai aimé ressentir la passion qui l’animait en écrivant ces lignes, son ton parfois moqueur, souvent sournois, et diablement en avance pour l’époque.


 

Livre N°2 : La Maison – Emma Becker

Le contexte :
On reprend le même environnement que pour l’ouvrage précédent, mais cette fois-ci en Allemagne, au 21e siècle. On mélange le tout, et cela donne le livre La Maison d’Emma Becker. 
Cette toute jeune Française, écrivaine de son état et dont j’ignorais l’existence auparavant, réside à Berlin, en Allemagne. Pour les besoins d’un futur ouvrage (ou pour se connaître elle-même, j’aurais plutôt tendance à penser), elle décide de rejoindre une maison close légale, puisque la prostitution est acceptée et tolérée en Allemagne. 

Au travers de son roman, elle dissèque ce monde inconnu, parle de ses collègues, de ses clients, de sa vie, en somme.

Ce que j’en ai pensé :

Premier constat : 100 ans après Maryse Choisy, rien n’a vraiment changé. Faire le choix de la prostitution comme décision assumée semble préjudiciable aux yeux de la société. J’ai regardé beaucoup de reportages, écouté des podcasts traitant de son livre, et les avis semblent toujours en demi-teinte. Comme si le fait d’embrasser ce choix était inacceptable, que la société avait à valider – ou non – le bien-fondé de sa démarche. Et rien que pour ça, j’ai eu envie de la lire ! Car que cela plaise ou non, n’importe quel humain, a le droit de disposer entièrement de son corps.

Toutefois, vous dire que j’ai adoré ce livre serait un mensonge. Mais vous affirmer le contraire le serait tout autant. J’ai lu ici et là que ce récit était un hommage déguisé à la prostitution. Ce n’est pas totalement faux, mais il s’agit surtout à mon sens d’une démarche personnelle très intime, très ancrée en elle, qui bien sûr, peut choquer, puisqu’elle va totalement à contre-courant de la bienséance (feinte) que la société souhaite nous projeter. Et grand diable, vous pensez : une femme qui dispose de son corps et fait de l’argent avec ? Mais vous n’y pensez pas ! 

Bref, c’est par curiosité et féminisme que j’ai eu envie de lire son expérience. Je ne veux pas vous spoiler son récit, mais je suis loin d’avoir accroché avec tout. Et contrairement à l’ouvrage de Maryse Choisy, l’omniprésence de scènes de sexe avant même son arrivée dans la Maison dans laquelle elle travaillera est, je trouve, un peu à côté de la plaque et pas forcément utile, tout comme la banalisation de la drogue qui revient à tout bout de champs. Je comprends qu’elle ait pu en avoir “besoin” pour tenir le choc, mais c’est le fait qu’elle le banalise un peu avec nonchalance qui m’a chiffonnée.

Le tout manque, à mon goût, (car encore une fois, ce n’est que mon humble avis !), de cohérence et de structure, et j’ai parfois trouvé son ton très condescendant, voire hautain. J’avais du mal à me sentir proche d’elle et à me projeter dans son expérience à cause de cela. Néanmoins, je dois tout de même dire que j’ai été très absorbée par son récit, et que j’ai lu son livre très rapidement. Malgré mon agacement parfois, je n’arrivais pas à lâcher mon bouquin, et j’ai trouvé sa démarche courageuse et nécessaire car tout le monde n’en aurait pas été capable, et j’ai vraiment senti que cela relevait d’un désir plus personnel que la rédaction d’un livre.

Ce que j’ai aimé par-dessus tout, et c’est pour ça que je vous conseille ce livre au final, c’est son amour des femmes et du féminin. Finalement, la prostitution n’est qu’une toile de fond, et même si certains clients sont évoqués, ce sont les femmes, qui sont les héroïnes de son récit. J’ai senti une vraie cohésion entre ces femmes, une admiration aussi de leur beauté, de leur féminité. Certains passages où elle prend le temps de détailler ses collègues, leur allure, leur personnalité, sont émouvants et très beaux. Une dimension qui manque cruellement au livre de Maryse Choisy.

Enfin, je me suis retrouvée sous un aspect qui la pousse à cette expérience : sa recherche de féminité. Elle évoque sans détour son obsession pour les femmes, et plus globalement sur la recherche de féminité, dans ses yeux et dans ceux des autres, quelque chose qui m’a toujours animée, depuis toute petite. J’en parle d’ailleurs ici. Et d’une certaine manière, c’est ce qui m’a aussi poussée dans le burlesque. Alors même si je n’irai jamais vendre mes charmes dans une maison close (avouez que vous y avez cru un quart de seconde hahaha), j’ai dans un sens, compris sa démarche profonde.


Cette curiosité m’a donc tout naturellement amenée à me documenter sur ce que la prostitution voulait dire aujourd’hui. J’ai écouté de nombreux podcasts à ce sujet, dont voici ceux que je vous conseille en priorité :

– “Prostitution : ceux qui disent oui, ceux qui disent non” de Binge Audio 

– Ensuite, je vous conseille vivement “Le Putain de Podcast réalisé par Loubna, une ancienne TDS et qui, chaque mois, invite une personne travaillant dans ce milieu. On est très loin des stéréotypes véhiculés par les médias, j’ai appris énormément de choses, cela déconstruit totalement les préjugés de manière simple et humaine. C’est vraiment un contenu de grande qualité, qui devrait être écouté par tous/tes.

– Enfin, ma douce amie Maty m’a conseillée une série de 10 épisodes de podcasts produits par Nouvelles Ecoutes, intitulée “La politique des Putes”. Le thème est ici également abordé par des TDS. Je trouve ce podcast plus politiquement engagé que le précédent, mais c’est justement ce qui m’a plu, il m’a ouvert de nouvelles perspectives de pensée et d’interrogations. Beaucoup de questions sociétales y sont soulevées, car finalement on peut légitimement se demander, par extension, si la sexualisation n’est pas une forme de prostitution ? Bref, vous l’aurez compris, ce podcast est extrêmement riche et vraiment édifiant, j’ai trouvé chaque témoignage fort et extrêmement courageux.

Enfin, que l’on soit bien clair : je ne débattrai pas de savoir ici, si oui ou non, la prostitution devrait être interdite ou tolérée voire même acceptée (même si en filigrane, j’imagine que vous devez vous faire votre idée), non pas que je n’ai pas d’avis là-dessus, bien au contraire, (j’en ai un et je le crois honnête) mais plutôt de simplement vous exposer divers contenus pour enrichir votre opinion. Je n’ai de toute façon pas la prétention de balayer tous les tenants et aboutissants et il serait d’ailleurs impossible de tout faire tenir en un seul et même article qui puisse être digeste pour vous. Toutefois, il est possible que je publie d’autres articles en fonction de mes prochaines lectures (même s’il est fort probable que ceux-ci traitent de ce sujet dans l’histoire, qui est tout de même le pans qui attire le plus mon attention).

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Vous pouvez consulter les précédentes éditions de ma série “Dans ma bibliothèque” : Glamour Hollywoodien // Destins de femmes féministes // Roaring 20’s & babydolls // “Esprit es-tu là ?

Eloge de la féminité : partie 1

Ahhh, la féminité ! Un grand mot qui résonne presque parfois comme un gros mot. Je m’attèle ici à un sujet qui n’est pas des plus simples à traiter (et que j’espère exprimer comme il faut), mais pourtant je me sens légitime à l’effleurer, ne serait-ce que par ces quelques lignes, tant il me fait autant de bien, mais parfois aussi un peu de mal, quand j’y pense.

Récemment, une amie qui m’est chère, Laëtitia du blog Eleusis & Megara, postait sur son Instagram une très jolie photo d’elle sur laquelle elle portait une robe rouge extrêmement féminine, puis elle s’interrogeait sur la question de la féminité dans sa légende, expliquant qu’elle avait parfois du mal à l’assumer et l’extérioriser notamment avec ce genre de vêtement, un peu trop glamour et qui passe difficilement inaperçue. Puis elle parlait ensuite de moi, et de ma façon d’assumer mon style et ma personnalité qui, il est vrai, est assez féminine. J’ai bien sûr été très touchée, mais bien qu’aujourd’hui cela paraisse assez naturel aussi bien pour moi que vis à vis des autres, cette manière de vivre ma propre féminité n’a pas été toujours aussi simple. J’aurais plutôt tendance à l’expliquer comme un chemin de croix, et c’est la raison qui m’a poussée à écrire ce post que je préfère scinder en plusieurs parties pour en faciliter la lecture.

Être féminin.e

Car oui, on dit bien “être féminine”, pour parler d’une femme coquette, mais jamais “d’être féminin”. Pourtant, je ne trouve pas cela si saugrenu que cela de vouloir l’employer au masculin. La féminité n’est à mon sens, pas réserver à un genre (et tant pis si ça dérange la bienséance), et un homme a parfaitement le droit de vivre sa féminité, qu’elle soit extrêmement édulcorée ou complètement assumée.

Pour autant, même du côté des femmes, la féminité fait peur.

Elle effraie. Autant celles et ceux qui la reçoivent, que souvent celle (et surtout celui) qui l’émet. Un peu comme si assumer et accepter cette part de femme faisait appel au pêché originel et rappelait quelque chose de dangereux, de sournois, d’artificiel, d’insoumis. Ou tout au contraire, serait juste là pour satisfaire les désirs de ces messieurs. Et c’est d’ailleurs souvent pour cela qu’elle est aussi souvent opposée au féminisme.

Combien de fois ai-je entendu des raccourcis qui me laissent encore pantoise sur le fait qu’une féministe ne devrait pas (sur)jouer de ses atouts, au risque de desservir la cause des femmes ? Ahem. C’est aussi idiot que de jeter le premier bâton de lipstick à celle qui porte une jolie fausse fourrure pour prouver que l’ont peut faire aussi bien que de la vraie, sans faire de mal. Bref, vous voyez un peu l’idée ? C’est précisément ce dont je veux parler aujourd’hui. Le sujet étant si vaste, j’ai essayé de le disséquer sous différents aspects que je découperai en deux articles, en espérant que cette lecture résonnera en vous et que je ne serai pas trop maladroite dans ma manière de vous l’amener !

De l’importance du Féminin

Une bonne fois pour toutes, faisons fi des genres !
OUI, le féminin est important, et NON, définitivement, NON, il n’a pas à rester cloîtré dans un genre en particulier. Tout autant que chaque femme a le droit de jouer des codes du masculin, le féminin devrait pouvoir être vécu de mille et une manières différentes, à la façon de chaque individu, quelque soit son sexe, sa sexualité, et son envie. Je n’ai pas l’intention de rentrer sur un débat concernant les genres, car ce n’est pas mon sujet ici, mais il me semblait nécessaire de l’effleurer car si pour moi la féminité est une partie essentielle de ma personnalité, je ne jugerai JAMAIS par exemple une femme qui ne souhaite pas exprimer complètement la sienne. Et de la même manière j’encouragerai un homme à l’explorer sans honte, juste pour balayer les frontières aveuglantes du patriarcat et essayer de regarder son style de vie et le monde qui l’entoure avec un regard neuf et différent.

Par exemple, on pointe souvent du doigt les hommes jugés trop sensibles avec ce qu’on appelle communément “leur part de féminité”. Je trouve cela idiot et complètement sexiste, et à mon sens un homme qui accepte sa sensibilité est bien plus un Homme que ceux qui prétendent le contraire. Enfin, avouer sa fragilité n’a rien de honteux, être sensible non plus, et je m’étonne même que le parallèle soit constamment fait avec le terme de “féminin”, car je peux vous assurer que certain.e.s femmes en sont totalement dépourvues ! Ce qui m’amène d’ailleurs au point suivant :

Assumer sa propre féminité

Je vais prendre mon histoire car je n’aurai pas de meilleur verbatim à ce jour !
Depuis toute petite, j’ai toujours fait preuve d’une grande coquetterie, sans que mes parents ne forcent quoique ce soit. Je voulais des jupes qui tournent, des hauts qui dévoilent les épaules “comme la fille dans Zorro” et j’aimais piquer le maquillage de ma mère. Comme beaucoup d’enfants en fait. Puis j’ai vécu une puberté assez précoce : hop, les nichons qui pointent sous mon petit tee-shirt blanc à motif poisson de “petite” fille en CM2, les garçons qui regardent et font des commentaires dans les vestiaires, alors que je joue encore à la marelle. Un peu comme si mon corps de femme apparaissait alors que mon innocence était encore intacte, et mon cerveau incapable de gérer ce changement trop brusque.

S’en suit une puberté extrêmement difficile à (di)gérer, le début de mes anxiétés (que je cachais bien sûr), mon corps qui change, et l’impression d’être un monstre (et je n’exagère pas). A cette époque, je me rappelle très sérieusement me dire que je dois certainement être la personne la plus moche sur terre (j’en rigole maintenant, car bon, la plus moche, faut y aller quand même).

Je finis par me cacher sous des survêtements Kappa abominables (qui à mon grand désarroi, et ça ne regarde que moi, sont remis au goût du jour depuis peu) et je rejette toute sorte de féminité en moi. Ce petit manège dure quelques temps pour finalement laisser place à une féminité dépoussiérée, que j’apprends à redécouvrir. Je ne gère plus les codes de féminité que j’avais trop longtemps laissés au placard, mais je me rappelle être fascinée par les stars Hollywoodiennes d’antan et leurs chevelures crantées (certaines choses ne changent pas !).

Britney et X-tina sortent de l’ombre et soudain, je sens cette petite lueur se réveiller en moi. Bien sûr, ça n’a pas été toujours du meilleur goût et immédiat, mais c’est ainsi que ma féminité a commencé à se (re)faire une place dans mon dressing, puis dans ma salle de bains. Doucement, les joggings informes ont laissé place à des pantalons plus étroits, jusqu’à finalement laisser la place à la Femme que je suis devenue, sans honte, sans forcer. Pour autant, je n’arrivais pas à trouver exactement mon style, jusqu’à il y a 4 ans environ. J’étais trop absorbée par ce que les diktats, la mode et la société voulaient bien me faire porter, et j’avais du mal à trouver où épancher ma soif de rétro, de glamour, ni comment la porter !

La peur. La peur d’être “trop”. “Trop” féminine, “trop” apprêtée, “trop” différente. Trop, trop trop.

On y revient toujours… Cette peur injustifiée et qui fait que l’on se gâche, si souvent. Mais c’était sans compter sur ma personnalité de fille têtue, qui ne lâche pas de si tôt son but. J’ai mis de côté ces petites voix qui m’empêchaient d’embrasser complètement ma féminité, et j’ai appris à cultiver ce style, car même si cela ne fait qu’assez peu de temps que je le porte au quotidien en l’assumant complètement (4 ans ce n’est rien comparé à mon âge canonique), il était latent. Car c’est exactement tout ce que j’ai toujours aimé.

Et finalement, cette peur idiote s’est complètement estompée à l’instant où j’ai envoyé valsé mes craintes et où l’envie de m’assumer a pris le pas sur les questionnements. C’était là, petit à petit : le cran, la force d’être qui je voulais, quand je le voulais, et peu importe ce que les gens en pensaient.

Alors bien sûr, se trimballer avec un maquillage de poulette des années 40, en robe fourreau et chevelure bouclée, ça ne passe généralement pas inaperçue. Mais vous voulez que je vous dise ? J’en ai fait mon parti. J’en fais mon affaire, et c’est ainsi que je me sens moi-même, que ça plaise… ou non. (En revanche, croyez-le ou pas mais je me sens mille fois plus déguisée en jeans et Stan Smith ! C’est vous dire ! Pour autant, si vous vous sentez bien avec un survêt’ Kappa, ou avec une couronne de fleurs sur la tête ou que sais-je encore, et que c’est ce qui vous ressemble, alors fichez-vous bien du regard des autres !).

Après tout, on n’a qu’une vie et se priver de choses qui nous font du bien pour la seule et obscure raison qu’est la peur des autres, c’est quand même sacrément dommage, non ? Rentrer dans le moule pour s’éviter un ou deux regards insistants ? Très peu pour moi !

Je suis toujours un peu attristée quand je rencontre des jeunes femmes qui, au cours de la conversation, me complimentent sur mon style puis m’avouent ne pas oser par peur du regard des autres… Je les comprends, bien sûr, mais j’en suis sincèrement contrariée, également. S’assumer en tant qu’individu n’est déjà pas évident pour bien des raisons, alors sortir du moule signifie se démarquer un peu plus de la foule grise, et donc quelque part s’exposer davantage aux regards, aux commentaires et aux critiques.

Mais à cela je répondrais qu’il faut avant tout être en accord avec soi-même, porter ce que l’on a envie, et s’octroyer le droit (et le devoir vis à vis de soi-même) d’être celui ou celle que l’on veut. Préférez-vous être en accord avec ce que vous êtes ou vous préoccuper de ce qu’un tel pensera dans le métro en vous voyant ? Vous ne le reverrez certainement jamais. Et puis, si ça se trouve, il pensera combien vous avez l’air sensationnelle dans cette robe, non ? Et si ce n’est pas le cas, c’est certainement juste qu’il manque sacrément de goût !

Je vais m’arrêter ici pour cette première partie d’éloge de la féminité et je publierai sans (trop) tarder la seconde partie dans laquelle je m’attacherai à parler du regard des hommes, mais aussi et surtout des femmes. Car croyez-le ou non, je le trouve parfois bien plus virulent et malveillant que celui de ces messieurs. C’est un constat qui m’interroge d’ailleurs sur la sororité et la bienveillance proclamée partout sur les réseaux sociaux, mais qu’on oublie bien souvent très vite dans la réalité. Mais avant de vous en parler, je vous remercie de m’avoir lue, et j’espère surtout pouvoir lire vos réactions en commentaire. Ce genre d’article me prend beaucoup de temps et d’énergie et ces sujets sont sensibles pour moi, alors vous lire me permet aussi de remettre en perspective ce que j’écris, mais c’est surtout un échange.

Merci 

 

Un jean et des Converse roses.

{Préface : ce texte a été écrit il y a 6 mois. J’ai longtemps hésité avant de le publier – allez savoir pourquoi ? – et je me suis finalement décidée à le mettre en ligne, car j’ai été à nouveau témoin d’une anecdote similaire dans le métro. Cette fois, je n’étais pas visée, c’était une jeune femme seule, et mes amis et moi nous sommes interposés. Dans toute sa virilité et son courage, l’homme – ou devrais-je dire la mauviette – qui lui cherchait des noises a déguerpi dès lors que nous nous sommes approchés et lui avons fait face. Preuve supplémentaire que nous devons TOUS élever la voie en de pareilles situations.}

Une fois n’est pas coutume, je ne vais ni parler ni rouge à lèvres, ni cabaret et encore moins de sujets légers pour ce post.
Pourtant, je pense que ce sujet a tout à fait sa place ici, car vous pourriez et avez peut-être été déjà concerné(e)s par le thème que je souhaite aborder. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un thème, c’est surtout une réalité, quelque chose que toutes les femmes ont, malheureusement et j’en ai bien peur, déjà vécu : « le harcèlement de rue ». Est-il vraiment nécessaire de rappeler ce que c’est ? Je pense qu’on a toutes déjà subi ce regard appuyé qui nous rend nerveuse, cette remarque déplacée, sexiste qu’on aurait préféré ne jamais entendre, cet œil inquisiteur qui décortique notre tenue, et parfois, bien plus grave.

J’ai toujours eu le sentiment de vivre « avec » ça, cette peur au ventre le soir en rentrant, cette angoisse de sortir sans collant en été de peur d’être scrutée et dévisagée (cela m’est déjà arrivé), me faire suivre dans la rue puis abordée lourdement alors même que je m’apprête à aller courir tranquillement, que je suis en baskets et n’ai aucune trace de maquillage sur le visage… Et pourtant à chaque fois, impossible de trouver les mots pour me « défendre », faire comprendre à cet individu qu’il me dérange et que son attitude n’est pas acceptable.

Mais ce matin, je me sentais forte. Ce matin, ça n’était pas comme d’habitude. Ce matin, j’avais en tête l’histoire horrible qu’une jeune femme que j’ai rencontrée hier soir a vécu dans le métro il y a à peine 1 mois ( elle va bien). Et ce matin, j’avais envie de m’habiller simplement, en jean et Converse roses. C’est si rare que cela mérite d’être précisé : pas l’ombre d’une robe fourreau, ni d’un collant couture, ni même d’un rouge à lèvres vermeil ! (Et oui, blague à part : il m’arrive aussi de m’habiller le plus simplement du monde et c’est pourtant souvent à ce moment-là que je suis le plus enquiquinée… Les femmes assumées, féminines et renvoyant l’image de personnes sûres d’elles feraient-elles peur à ces messieurs à l’éducation douteuse ?…)

Pour autant, si j’avais eu envie de sortir ainsi, ou même en bikini, en combinaison de ski, ou avec un panier de fruits sur la tête, c’est mon droit le plus total, et personne, pas même votre entourage ne devrait pouvoir un jour vous signifier que vous avez mérité une agression ou un regard déplacé parce que vous étiez habillées d’une manière qu’une personne extérieure juge « inappropriée » ! Mais bref, je digresse.

Ce matin donc, je m’installe, comme tous les matins, à mon terminus, sur un siège qui fait face à un autre siège. Un homme rentre puis s’installe en face de moi. Il n’est même pas assis, que je sens déjà son regard se poser lourdement sur moi. Pendant quelques minutes, je fais mine de m’occuper sur mon téléphone cellulaire, et j’en profite pour le raconter à mes amis via Messenger, comme pour ne pas me sentir seule. Car à ce moment précis, et bien que je ne sois pas seule dans la rame (qui en plus, venait de se bloquer – impossible donc d’en sortir), je me sens affreusement seule, face à cette situation inconfortable.

L’homme, âgé d’une cinquantaine d’années environ, me semble dérangeant et dérangé. Il sort un énorme livre d’art Égyptien (comme quoi, j’aurai presque pu trouver des points communs avec cet énergumène), tourne les pages, tout en continuant de me fixer de manière totalement exagérée. Je me sens rougir, je fais mine de fouiller dans mon sac, mais son regard est encore plus insistant, je le sens. Désormais, il regarde avec attention les moindres détails de ma tenue, jusqu’à se pencher pour voir quelles chaussures sont à mes pieds. Autour de moi, personne ne semble réagir, et le métro, lui, est toujours bloqué. La situation dure plusieurs minutes qui me semblent une éternité.

Il m’était déjà arrivé de vivre pareille situation (et même, bien pire, mais ce n’est plus le sujet), et j’aurai tout à fait pu changer de place, mais ce matin, je n’en avais pas envie. Je me suis installée en premier, et j’ai autant le droit de vivre sereinement mon trajet que cet individu et ce n’est pas à moi de partir, je ne suis pas en tort ! Je pense à ouvrir un livre, pour esquiver son regard, mais je sais pertinemment qu’il me serait impossible de lire les pages avec attention, et de toute façon, je n’ai, d’un seul coup, plus envie d’ignorer son comportement.

Je me décide à me confronter à son regard, en lui lançant un œil noir dont j’ai pourtant le secret ! L’homme ne sourcille pas, et continue de plus belle à me dévisager, et ce jeu semble même l’amuser. Il tournicote les pages abîmées de son bouquin, puis soudain, mon cerveau reptilien se réveille, ne supportant plus l’état d’objet ou de souris face à un chat auquel cet affreux bonhomme semble me reléguer. Je l’interpelle, avec une voix franche et assurée : « Vous avez un problème ?… ». Ah. Pas de réponse. Pensait-il que je resterai muette devant son arrogance ?

L’homme ne dit rien, me fait non de la tête. Je continue : « Non, parce que, depuis tout à l’heure, vous me dévisagez, et cela est très inconfortable et je veux que vous cessiez immédiatement ». Je ne reviens pas d’avoir osé le lui dire, et je lis la surprise, puis la gêne dans son regard. Il continue de se tasser sur son siège, bredouille qu’il est en train de lire, et je répète, encore un peu plus fort ce que je venais de dire juste avant, pour que les personnes présentes dans le wagon puissent comprendre ce qui est en train de se passer.

Les regards se tournent vers lui, une jeune femme me regarde, puis le fixe d’un mauvais œil, c’est désormais sûr : je ne me sens plus seule. Le bonhomme, lui, baisse les yeux, et agit comme un enfant qu’on aurait réprimandé ! C’est désormais lui, qui est mal à l’aise ! Incroyable comme les rôles sont désormais inversés. J’ai peut-être l’air jeune, fragile de par mon petit mètre 60, et je porte peut-être des baskets roses aujourd’hui, mais je ne me laisserai pas faire, et je trouve cela parfaitement inacceptable qu’un prétendu homme, plus grand, plus âgé et plus “fort” que moi puisse penser qu’il est normal de prendre le dessus sur plus “faible” que soi.

Les portes du métro se rouvrent, et c’est le train de la rame d’en face qui finalement doit partir. Je me lève, énervée, et l’homme murmure un « désolé » auquel je ne prête aucune attention, encore bien trop fébrile par la situation.

Je m’installe dans le train d’en face, mais l’homme n’est pas assez rapide (ou bien trop honteux pour rejoindre le train dans lequel tous les voyageurs sont désormais), les portes se ferment, et je le vois me fixer depuis le quai, avec un regard profond. (J’ignore s’il s’agissait là d’une intimidation, mais je crois qu’à ce moment-là mon cerveau reptilien aurait exhorté le félin qui sommeille en moi pour lui bondir à la gorge en cas d’affront supplémentaire.)

La jeune femme qui avait assisté à toute la scène s’installe en face de moi pour me parler et me confirmer qu’elle a remarqué son attitude dérangeante à mon égard. Nous échangeons quelques mots, et, ce matin, je comprends une chose en lui parlant : il ne faut jamais rester silencieuse. Il ne faut jamais rester silencieuse car vous donnez raison à l’individu en face de vous de continuer. Il ne faut pas non plus rester silencieuse, parce que les gens autour de vous ne voient pas (ou parfois ne veulent pas voir) une situation inacceptable, mais énoncer à haute voix ce que vous vivez et en informer les personnes autour de vous peut désamorcer un contexte d’insécurité, comme ça a été le cas pour moi ce matin.

C’est loin, très loin, d’être la pire anecdote que j’ai vécue et encore plus loin de celle d’autres jeunes femmes malheureusement, je le sais bien, mais celle-ci m’a marquée aujourd’hui parce que je m’en suis sortie grandie en osant confronter ce type. Je ne dis pas que ceci serait aussi simple, un soir, seule dans la rue. Mais je suis fière d’avoir pu renverser la vapeur en mettant ce type presque plus mal à l’aise que je ne l’ai été.

Ne restez jamais silencieuse, habillez-vous comme bon vous semble et n’ayez pas honte d’être ce que la nature a fait de vous : des Femmes. Demain, c’est décidé : je ressors mes talons et gare aux vieux schnock et son bouquin d’art Egyptien.

(PS : Pour vous prémunir et sur les conseils de mes collègues, vous pouvez télécharger l’application “HandsAway” pour lutter contre le harcèlement de rue, vous permettre de témoigner et devenir “Street Angel”.)

(Photo : Pin-Up Story photos by Marc Philbert)